Contrôle de ressortissants de pays tiers détachés : une lutte permanente contre l’occupation illégale, le dumping social et la traite des êtres humains

Publié le

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2021

Ces dernières années, le service d'inspection du Contrôle des lois sociales (CLS) a constaté un nombre anormalement élevé de ressortissants de pays tiers séjournant illégalement en Belgique et qui viennent travailler dans notre pays frauduleusement par le biais d’entreprises établies dans des États membres de l’Espace économique européen (EEE). Le ressortissant d’un pays tiers ne dispose pas de la nationalité d’un État membre de l’EEE.

Dans le cadre de la libre circulation des services au sein de l'Union européenne, un employeur dont le siège social est établi hors du territoire belge peut occuper ses propres travailleurs sur notre territoire pour l'exécution d'une mission donnée. On parle de détachement lorsque des travailleurs exercent temporairement des activités dans le pays d'accueil (la Belgique) et retournent ensuite dans l'État membre où ils travaillent habituellement. En vertu de la directive relative au détachement (96/71/CE), l'employeur est tenu de respecter un ensemble de conditions de travail, de rémunération et d’occupation en vigueur dans le pays d'accueil, ainsi que les directives prises au niveau européen en la matière. Pour protéger les travailleurs et veiller à ce que leurs droits sociaux soient préservés pendant cette courte période, les travailleurs restent soumis dans de tels cas de figure à la sécurité sociale de leur pays d’origine. En bref : un salaire égal pour un travail égal au même endroit.

Il est possible de faire travailler un ressortissant de pays tiers en Belgique par le biais du détachement, pour autant qu’il puisse prouver avoir été recruté dans le cadre d'un contrat de travail par une entreprise établie dans un État membre de l'EEE et disposer d'un visa de séjour en cours de validité et d'un éventuel permis de travail délivré par le pays d’origine. En outre, le ressortissant d’un pays tiers détaché doit également disposer d'une preuve de déclaration Limosa valide et son employeur doit demander un certificat A1 (preuve de l'affiliation à la sécurité sociale du pays d'origine) pour lui. De plus en plus de ressortissants de pays tiers peuvent facilement être détachés en Belgique via une étape intermédiaire et travaillent souvent dans le secteur belge de la construction.

top 5 des secteurs d'emploi des travailleurs ukrainiens

Toutefois, le recours combiné à des documents de séjour falsifiés mais se rapportant potentiellement à des identités réelles, l'apparence de légalité obtenue dans un État membre de l'EEE, les déclarations Limosa et la présentation de certificats A1 authentiques ou faux compliquent le travail des services d'inspection.

En cas de détachement illicite de ressortissants de pays tiers en séjour illégal, on peut parler de dumping social. Cela conduit à une concurrence déloyale, à la fixation de prix faussés et à une grave atteinte à notre système de sécurité sociale. Enfin, la lutte contre l’occupation de travailleurs détachés en séjour illégal s’inscrit également dans le cadre de la politique sociale et du respect des droits fondamentaux. On constate effectivement que les droits des ressortissants de pays tiers détachés illégalement sont fréquemment bafoués.

Détachement non valable d’Ukrainiens par des entreprises polonaises

Ces dernières années, les services d’inspection ont rencontré sur le terrain de nombreux ressortissants ukrainiens détachés par le biais d’entreprises polonaises. Ce n’est pas étonnant : en effet, les chiffres montrent que les détachements se déroulent principalement à partir de la Pologne et de la Lituanie. On observe essentiellement ce phénomène dans les secteurs du transport et de la construction. De 2017 à 2021, on a constaté en Belgique une hausse de 251% d’ouvriers détachés de nationalité ukrainienne.

évolution nombre travailleurs détachés ukrainiens 2017-2021

En 2021, un peu plus de 24 950 travailleurs ukrainiens ont été détachés en Belgique. La nationalité ukrainienne se hisse donc en première place du top 5 des nationalités de ressortissants de pays tiers. Les chiffres relatifs aux constatations effectuées confirment également cette évolution.

Top 5 des nationalités de ressortissants de pays tiers employés en Belgique en 2021

 

On attire les Ukrainiens chez nous en leur faisant miroiter un gain d’argent rapide mais ils en sont souvent pour leurs frais. Il n’est pas rare qu’ils ne perçoivent que 2 à 7 euros par heure et travaillent 65 heures par semaine. Ils prestent de longues journées sans se plaindre (avec tous les risques que cela implique). Par conséquent, de nombreuses entreprises belges de construction font appel à eux.

Les contrôles sur le terrain sont souvent effectués avec les services suivants:

  • le Contrôle des lois sociales et le Contrôle du bien-être au travail du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale (CLS et CBE),
  • l’inspection de l’Office national de sécurité sociale (ONSS),
  • l’inspection de l’Office national de l’Emploi (ONEM),
  • l’Institut national d'assurance maladie-invalidité (INAMI),
  • l’Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI),
  • les services de police ainsi que les services régionaux d’inspection sociale.

pays de provenance des travailleurs détachés ukrainiens

nombre de travailleurs détachés par pays d'origine

Les actions communes sont soutenues et coordonnées par le Service d’Information et de Recherche Sociale (SIRS). Chaque service est donc chargé de missions caractéristiques qui lui sont propres.

La première démarche importante que l’inspecteur social est amené à effectuer consiste à contrôler les données d’identité grâce au passeport. L’inspecteur social prend des photos des documents, ainsi que des tampons apposés dans le passeport. Cela peut s’avérer important par la suite, par exemple pour prouver une falsification ou pour le calcul des salaires. Si le ressortissant ukrainien n’est pas en possession de documents en règle pour être occupé via l'entreprise polonaise, l'inspecteur social contacte la police locale qui, à son tour, contacte l'Office des Étrangers, qui décide alors si ce ressortissant ukrainien doit quitter le territoire ou non.

L’inspecteur social procède ensuite à l’audition des ouvriers ukrainiens. Ces auditions sont importantes car elles permettent de recueillir davantage d’informations sur leur occupation en Belgique, de contrôler si les rémunérations sont suffisantes ou non et si, en l’occurrence, il est question de dumping social ou de traite des êtres humains.

Afin de lutter contre les détachements frauduleux, le CLS a établi en 2021 des procès-verbaux de constatation d’occupation illégale pour 67 travailleurs ukrainiens.

nombre d'avertissements et pro justitia pour des travailleurs ukrainiens détachés (2021)pourcentage de dossiers travailleurs étrangers traités par CLS en 2021

Rémunérations

En vertu de la loi prévoyant des sanctions et des mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour illégal (11/02/2013), notre service d’inspection est habilité à réclamer la rémunération d’un ressortissant de pays tiers en séjour illégal. Il est censé avoir effectué des prestations pendant une durée d’au moins trois mois, jusqu’à preuve du contraire.

En tant que service d'inspection, la mission principale du CLS est donc de s’assurer que les ressortissants de pays tiers en séjour illégal reçoivent la rémunération à laquelle ils avaient droit durant leur occupation en Belgique.

Responsabilité solidaire

Dans le cadre de ressortissants de pays tiers en séjour illégal, l'entrepreneur (en dehors du cadre d'une chaîne de sous-traitants) ou l'entrepreneur intermédiaire (dans le cadre d'une telle chaîne) sont solidairement responsables pour le paiement de la rémunération encore due par leur sous-traitant direct en l’absence de clause d’exonération. L'entrepreneur principal et/l'entrepreneur intermédiaire ne sont solidairement responsables que s’ils ont connaissance du fait que leur sous-traitant indirect occupe un ou plusieurs ressortissants de pays tiers en séjour illégal.

Il s'agit d'un moyen de lutte important pour le service d’inspection car, de cette manière, toutes les entreprises de la chaîne se voient adresser un courrier. Cela débouche généralement sur un arrêt de la collaboration avec l’entreprise frauduleuse.

En 2021, notre service d’inspection a appliqué cette méthode de travail aux utilisateurs belges pour 51 travailleurs ukrainiens.

Situation actuelle des Ukrainiens

En tant que service d'inspection, il est très important de toujours suivre l'actualité car cela permet d’adapter les méthodes de contrôle dans la mesure du possible. Dès lors, eu égard à la situation catastrophique en Ukraine en ce début d’année 2022, il a été décidé d’adapter l'approche des contrôles. À l’heure actuelle, les contrôles des ouvriers ukrainiens sont limités aux constatations en vue de dresser un procès-verbal de constat d’infraction à l’encontre des organisateurs responsables. Il est donc primordial d’informer suffisamment les travailleurs ukrainiens sur les procédures en vigueur quant à l’accès à notre marché du travail.